Thomas (agonise, suffoque) : « Je… je ne sens plus mes jambes… Clara… ? »
Le sol sous son corps n'est plus qu'un lac de sang tiède. Son sang. Ses bras tremblent, ses os craquent à chaque respiration, et son torse n'est qu'un champ de ruines. Il ne distingue plus grand-chose. Les cris du Néon, les échos distordus de l'Autre, tout semble lointain, noyé dans un brouillard rougeâtre qui s'épaissit seconde après seconde.
Clara gît à quelques mètres, recroquevillée contre un pan de roche noircie. Son flanc est ouvert sur toute sa longueur, et chaque inspiration se transforme en un râle effrayant. Elle ne hurle plus. Elle n'en a plus la force. Son regard, vide, cherche celui de Thomas dans les ténèbres rampantes.
Le Néon, au centre du cratère qu'il a lui-même façonné dans la terre, les regarde sans un mot, sans un geste. Sa silhouette semble floue, altérée par l'énergie toxique qui l'entoure. Le ciel lui-même, déchiré en filaments obscurs, pleure des cendres brûlantes. Les arbres morts. Le silence étouffant. Le Vide autour.
Clara (détresse muette) : « Tu m'entends… encore ? »
Un murmure. À peine un souffle. Thomas tourne la tête, au prix d'une douleur si vive qu'il croit que sa nuque va se rompre. Il voit ses lèvres bouger, mais plus aucun son ne sort. Il veut répondre. Mais sa gorge n'est plus qu'un puits sec, noir, envahi par le sang.
Leurs mains se cherchent dans la terre.
Et se manquent.
Tout autour, le monde s'effondre lentement.
Le portail qu'ils ont refermé derrière eux continue de grésiller, instable, à quelques pas derrière leur position. Mais aucune fuite n'est possible. L'Entité s'est étendue, comme une marée invisible, recouvrant l'air, la terre, jusqu'à leur propre esprit.
Les murmures cessent.
Non, ce n'est pas le silence. C'est pire.
C'est le néant.
Clara (délire, fièvre brûlante) : « Thomas… mes mains… j'ai froid… »
Elle veut se relever. Son bras flanche. Une gerbe de sang jaillit de son flanc déchiré. Elle hurle — enfin — un cri atroce, qui se brise dans un râle rauque, étouffé par la poussière et la douleur. Thomas, malgré lui, rampe. Il se traîne dans la boue noire, un bras après l'autre, jusqu'à sentir sa peau contre la sienne. Il ne voit plus clair. Chaque mouvement déclenche un vertige abominable, et sa cage thoracique semble s'ouvrir à chaque respiration.
Thomas (halète désespéré) : « Ne dors pas… s'il te plaît… reste là… »
Ils s'agrippent.
Comme deux âmes en train de sombrer dans un abîme sans fond.
Les minutes passent. Ou les heures. Le temps n'a plus de forme. Plus de son. Plus de logique.
Là-haut, le ciel s'ouvre un instant, déversant une pluie fine, sombre comme le sang dilué, glacée, qui s'écrase sur leurs visages.
Thomas sent sa vision se réduire. Les contours s'effacent. Il voit encore le Néon. Immobile. Insondable. Et cette voix, dans sa tête, qui revient… plus forte.
L'Autre (douceur perverse) : « Tu n'as plus qu'un pas à faire, Thomas… Un pas… Et je te sauverai. »
Non.
Pas ça.
Il ferme les yeux. Mais l'image de Lucien, défiguré, le hante. Le combat. La chute. Le hurlement de Clara. L'ouverture du Vide. L'Épine-Mère…
Tout mène ici.
Et ils vont mourir.
Clara (sanglots étouffés) : « J'ai… si peur… Je ne veux pas disparaître, pas maintenant… »
Sa voix est brisée. Lointaine. Elle tremble. Elle délire. Elle revoit Élise, dans l'Usine. Le jour où tout a basculé. Le regard d'Azran avant la rupture. Le cri de Léora quand elle a compris la trahison.
Et là… cette fin, lente.
Aucune puissance ne vient les sauver.
Ni bénédiction. Ni miracle.
Juste la douleur.
Soudain, un craquement sourd fait vibrer l'air.
Le Néon s'avance.
Il ne parle pas. Il ne tue pas. Il les observe simplement, la tête penchée, comme s'il étudiait deux animaux mourants. Son visage est flou, mais ses yeux… une lumière pâle, morte, presque compatissante.
Puis il s'agenouille.
Thomas essaie de bouger. En vain. Son bras retombe comme un poids mort. Il n'a plus de force. Même hurler lui est impossible.
Le Néon (voix d'outre-tombe) : « Vous avez atteint la fin de votre volonté. C'est ici que tout se brise. »
Il lève la main.
Une lueur noire, dense, tourbillonne autour de ses doigts.
Clara ferme les yeux. Ses lèvres s'ouvrent, sans un mot.
Thomas, dans un dernier sursaut, se jette devant elle.
Mais rien ne vient.
Pas de coup. Pas d'explosion.
Seulement la lumière.
Éblouissante. Noire.
Et puis… plus rien.
Ils flottent.
Plus de douleur. Plus de gravité. Juste une immense étendue blanche, silencieuse, qui les enveloppe comme un linceul.
Clara, immobile, sent encore le cœur de Thomas battre faiblement contre elle. À peine un battement. Un écho. Elle ne sait plus où elle est. Ni si elle est encore en vie. Mais ses doigts, malgré tout, tiennent les siens.
Thomas (intérieurement) : « Est-ce… la fin ? »
Sa voix ne résonne que dans sa propre tête. Ses pensées se font rares, distendues. Il se souvient des débuts. De l'Institut. De l'arrogance de ses choix. De ses erreurs. Du poids de ses morts.
Il n'a pas sauvé Lucien.
Il n'a pas empêché l'ouverture du Vide.
Il n'a pas protégé Clara.
L'Autre (doucement, toujours là) : « Il te suffit de dire "oui", Thomas. Et je te rendrai ta force. Je vous rendrai vos vies. Tu n'as plus rien à perdre. »
Un battement. Puis deux.
Il sent sa main trembler. Mais refuse de répondre.
Clara, même dans le silence, lutte toujours.
La douleur revient brutalement.
Une douleur brutale, totale, qui ravage chaque cellule, chaque organe, chaque pensée. Thomas crie — un cri de gorge, brut, animal, tandis que l'air revient dans ses poumons comme une tempête de feu.
Clara convulse.
Ils sont encore en vie.
Mais à quel prix ?
Ils ne voient plus le Néon. Ni le ciel. L'espace autour d'eux a changé. Une sorte de barrière translucide les sépare du reste du champ de bataille. Un cocon de souffrance. Un dernier souffle avant l'oubli.
Thomas (halète terrifié) : « Il nous… il nous a laissés… ? »
Clara (voix cassée) : « Non… Il nous condamne… à souffrir.
Ils ne peuvent plus marcher.
Plus bouger.
Leurs corps sont brisés, disloqués. Mais leurs esprits… résistent encore.
Le Vide n'a pas encore gagné.
Pas tout à fait.
Mais le monde ne les voit plus. L'aide n'arrivera pas.
Personne ne les retrouvera ici.
Ils ne sont plus que deux âmes errantes, coincées entre deux réalités, dans l'attente d'une fin lente et cruelle.
Clara (faiblement, dans le silence) :
« Je ne veux pas mourir ici… pas sans comprendre… pourquoi tout s'est effondré. »
Elle serre plus fort la main de Thomas.
Lui, malgré la souffrance, hoche la tête. Un geste minuscule. Mais assez fort pour dire « moi non plus ».
Leurs corps se taisent.
Mais leur volonté… ne s'éteint pas.
Pas encore.
À suivre…